Ilaria Sutera : le cheval de sport de haut-niveau au naturel

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Le temps d’une matinée, Ilaria Sutera m’a accueillie au sein de son écurie de sport pas vraiment comme les autres… La cavalière de saut d’obstacles monégasque d’origine italienne, âgée aujourd’hui de 24 ans, a concouru jusqu’en épreuve Pro Elite 1m50. Ilaria terminait d’ailleurs 4ème du Grand Prix 1m50 de la finale du Grand National en décembre 2019 à Paris avec son alezan Jackson. Le cheval, non tondu, avait marqué les esprits.

Installée depuis deux ans au Haras d’Engerville avec son compagnon Brendan Pennarun, Ilaria Sutera prône le retour à la nature du cheval de sport et plus particulièrement ceux destinés au plus haut-niveau. J’ai essayé d’en savoir plus sur ce système inédit dans le monde du saut d’obstacles. Retrouvez notre discussion en vidéo sur Instagram IGTV ou retranscrite ci-dessous !

INTERVIEW
Quel a été ton parcours avant ton arrivée au Haras d’Engerville en Normandie ?

Je suis originaire de Monaco. Mes chevaux étaient à Milan donc on a fait des allers-retours avec ma mère pendant six ans pour que je puisse monter à poney et faire les épreuves Juniors. Jusqu’au jour où j’ai décidé que je voulais en faire mon métier. On a donc déménagé en France pour que je puisse faire mes études et monter à cheval en même temps. Je me suis retrouvée à Paris pour l’université et un jour, on s’est dit qu’il serait bien d’avoir un endroit à nous où mettre nos chevaux. On a trouvé ce haras sur lequel on a eu un vrai coup de cœur. On est installés en Normandie depuis deux ans et c’est formidable !

Depuis que tu es en Normandie, tu as revu tout ton système au niveau de la gestion des chevaux mais aussi au niveau des concours. Peux-tu nous en parler et nous dire quel a été ton cheminement ?

Lorsque l’on a planifié d’acheter un endroit où je voulais vraiment avoir de la place pour changer de système, mon idée était de revenir complètement au naturel. Je me suis dit : “j’aime vraiment mes chevaux mais qu’est-ce que je peux faire pour leur rendre tout ce qu’ils font pour moi ?”. J’ai alors commencé à les laisser dehors en troupeaux, à étudier l’alimentation, étudier leurs déplacements, étudier leur moral, étudier comment ils vivaient leur vie de cheval. C’est assez extraordinaire car le jour où j’ai commencé à mettre tout le monde dehors je me suis seulement dit que c’était formidable.

Qu’as-tu observé comme changement chez tes chevaux à la maison et en concours ?

J’ai observé beaucoup de choses ! Côté sport, au niveau de la santé et des performances cela n’avait absolument rien à voir. Des chevaux qui pouvaient avoir des petits soucis de santé n’en montraient plus les signes. La récupération à l’effort complètement différente aussi et surtout un moral : ils ont envie de se battre pour nous, ils savent que lorsqu’ils rentrent du concours après avoir tant donné ils vont pouvoir retrouver leur pré avec leurs copains. Ça change quand même tout. Ça change leur façon de voir la vie aussi je pense.

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Ce système est donc devenu une normalité pour toi aujourd’hui. Cela doit beaucoup questionner autour de toi, notamment dans le haut-niveau. Si on te dit “un cheval de sport doit vivre au box et non exclusivement au pré”, qu’est-ce que tu réponds ?

En effet. Tout le monde a un vision différente sur la façon dont je gère mes chevaux. Il y en a qui disent “c’est super, nous on n’a pas la place, on ne peut pas le faire mais on respecte ton choix, on essaie de comprendre”. Et puis il y a d’autres personnes qui vont me dire “ça ne marche pas comme ça des chevaux de haut-niveau, ça va au box, ils sont habitués comme ça, c’est pas des touristes”. Et dans ce cas-là, j’essaie d’expliquer aux personnes qui ont envie de l’entendre qu’il est important de prendre du recul et d’essayer de comprendre comment fonctionne un cheval et qu’en fait, c’est la façon naturel dont fonctionne le cheval. La société nous a inculqué une certaine idée du cheval et je pense que c’est à nous aussi de se poser, d’ouvrir les yeux et d’observer autour de nous ce dont un cheval a vraiment besoin. Est-ce qu’il a toujours besoin d’avoir des bandes de repos, des soins particuliers ou est-ce que finalement la réponse n’est-elle pas beaucoup plus simple que ce dont on a l’habitude de chercher comme solutions ? J’essaie de leur expliquer que c’est tout à fait possible et qu’en plus, pour parler sport, c’est tout à fait avantageux.

Des avantages sportifs mais aussi économiques ?

Oui économique aussi. On fait des énormes économies sur la paille, le foin. Pendant le confinement, il n’y a pas eu de grains, ils étaient déferrés donc on a vu nos coûts diminuer énormément. Sur le long terme, c’est incroyable les économies que l’on peut faire avec ce modèle.

Est-ce qu’il serait possible pour toi de revenir en arrière aujourd’hui, avec le système des boxes notamment ?

Ah non, ça c’est juste pas possible ! J’impose mon système à personne, j’ai la chance de pouvoir le faire. C’est très important de le souligner parce que j’ai la chance d’avoir mes parents qui me soutiennent dans ce projet et j’ai aussi le meilleur endroit pour le faire. Je n’ai aucun chevaux de propriétaires donc c’est plus facile à gérer.

Je sais que tu utilises beaucoup la communication animale avec tes chevaux. Pour toi, quel est la place de cet “outil” dans le sport équestre ?

Je pense que cela peut être quelque chose de complémentaire avec ce qu’on fait. Ça peut énormément aider à résoudre des problèmes aussi personnels avec les chevaux, car il ne faut pas oublier que ce sont nos amis et que l’on a aussi des problèmes personnels avec eux souvent. La communication animale peut répondre à pas mal de questions qu’on se pose sur le caractère particulier de certains chevaux ou un cheval qui va pas forcément avoir envie de sauter. C’est très intéressant et ça touche quelque chose de différent. Ça m’a beaucoup aidée à résoudre des problèmes avec mes chevaux, j’ai vu de gros changements. J’y crois beaucoup, on n’est pas obligé d’y croire mais je pense que cela a une place complémentaire dans notre profession.

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L’étalon Chacon LS a rejoint tes écuries récemment. Il était auparavant sous la selle de Mathieu Billot. Mathieu et toi n’avaient pas vraiment la même approche du cheval. Comment s’est faite cette rencontre ? Comment s’est faite la transition vers ton système pour Chacon ? Et comment vois-tu l’avenir avec ce cheval ?

Mathieu est venu me voir il y a un an en me disant qu’il fallait absolument que j’essaie ce cheval car il m’irait vraiment bien. Je n’avais pas les moyens d’acheter ce cheval mais il vient tout de même me voir à plusieurs reprises et je vois qu’il avait sincèrement envie que je l’essaie. Alors il me propose de lui échanger certains de mes jeunes chevaux pour pouvoir récupérer Chacon dans mes écuries. J’avais en effet des chevaux avec qui sportivement je n’étais pas vraiment compatible. De mon côté, c’était le coup de cœur pour Chacon. Mathieu m’a mis toutes les clés en main. Mathieu a une boutique à faire tourner, il me prévient qu’au début cela peut être compliqué étant donné que mon système est vraiment différent pour le cheval, la vie au paddock peut être compliquée à gérer etc. Cela ne m’a pas inquiétée !
J’espère faire du haut-niveau avec ce cheval. Je vais prendre le temps de le laisser s’adapter à mon système. Je pense que ça va bien se passer parce que c’est un cheval qui a l’air de très très bien s’adapter. C’est sûr qu’on ne me verra pas tout de suite avec à haut-niveau car j’ai vraiment envie de passer du temps avec, de mieux le connaître à pied avant, de créer un lien avec lui et voir l’année prochaine si on arrive à faire du haut-niveau ce serait vraiment incroyable.

Tout comme Mathieu, tu as une entreprise à faire tourner. Penses-tu que ce système soit économiquement viable sur le long-terme ? Si oui, pourquoi ?

Oui, ce système est économiquement viable. Déjà pour le commerce de chevaux : au début, je pensais que ce serait délicat de les mettre ensemble dehors et finalement, je me rends compte que les clients apprécient. Ils apprécient venir essayer des chevaux qui sont gérés “au naturel”, qui sont pas trafiqués, qui ont leur vie, qui sont bien dans leur tête. J’en suis vraiment ravie. Nos chevaux sont bien dans leur tête, bien dans leur corps. Et puis au niveau des économies que l’on fait à l’année : j’ai les moyens mais cela revient aussi beaucoup moins cher en termes de gestion. Donc je pense cela le restera sur le long-terme.

Comment vois-tu le sport équestre dans 10 ans ?

De mon point de vue d’aujourd’hui, honnêtement mal car j’ai l’impression que les gens n’ouvrent pas assez bien les yeux sur ce qu’est le bien-être animal. On voit encore beaucoup de dureté dans les chevaux, on voit encore beaucoup de gens qui les prennent pour des machines. C’est ce qui me pousse à vouloir réussir à haut-niveau, c’est mon objectif personnel : j’aimerai montrer aux gens en général mais aussi aux professionnels que c’est possible de respecter nos chevaux, de les aimer, qu’ils vous donnent tellement plus quand on est dans un système d’amour et de partenariat. Beaucoup le comprennent déjà, ce que j’apprécie beaucoup car j’arrive à avoir des discussions géniales avec certains cavaliers professionnels, qui sont ouverts à ça, bien que d’autres non. Je pense que l’on peut réussir à avoir un sport harmonieux et dans le respect de l’animal. Si on se remet en question, on peut y arriver.


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