A l’heure où l’inclusion est un sujet chaud de société et d’actualités, la question se pose dans de multiples cas de figure allant du lieu de travail aux centres sportifs en passant par les campagnes de publicité. L’inclusion qu’est-ce que c’est ? Du point de vue mathématiques, l’inclusion est définie comme le rapport entre deux ensembles dont l’un est entièrement compris dans l’autre. Du point de vue social, c’est l’action d’inclure des personnes “différentes” (par leurs origines, leur handicap, leur genre, leur sexualité, leur poids…) à un groupe homogène. Et en équitation alors ? Épineuse et douloureuse question posée récemment par la jeune instagrameuse @liv._.doodless à la marque anglaise Black Heart Equestrian. Voici le topo, entre réalité sociétale et gestion de communication de crise lamentable.
Dans le contexte
Il y a quelques jours, la marque de vêtements d’équitation Black Heart Equestrian a reçu en privé un message de l’une de ses abonnées @liv._.doodless relatant son avis concernant la communication de la marque et en particulier les modèles choisies pour porter leurs vêtements :
“Bonjour Black Heart. Il y a plusieurs choses que je voudrais vous dire. Tout d’abord, il n’y a AUCUNE diversité sur votre compte ou dans votre entreprise. TOUTES les modèles sont des filles blanches, très minces avec de fortes poitrines. Il n’y a aucune représentation d’autres races, ethnies ou morphologies. Ce N’EST PAS ok. Vous devriez vouloir être une entreprise qui représente tout le monde équitablement. Montrez-vous respectueux et montrez le changement positif dont nous avons besoin dans le monde équestre ! <3” (traduit de l’anglais par PegaseBuzz).
Un message pas anodin qui reflète deux choses : l’engagement de l’abonnée qui prend le temps de contacter la marque et de lui suggérer des pistes d’amélioration, et une idée-murmure selon laquelle le monde équestre devrait changer son idéologie sur le corps idéal et le profil des cavalières dans le marketing équestre. Voici donc comment Black Heart Equestrian a littéralement vom* sur la perche tendue par son abonnée – et potentielle cliente -, comment Black Heart aurait pu éviter cette communication désastreuse mais surtout, comment on en est arrivé là !
Faut-il avoir un beau cul pour monter à cheval sur Instagram ?
Il suffit de passer quelques minutes sur Instagram pour se rendre compte que les “influenceurs” équestres aux photos filtrées jusqu’au poney montrant leurs multiples prouesses à cheval ont doucement mais sûrement envahi le réseau ces dernières années. Des versions cheval des influenceurs lifestyle grand public : on transpose le modèle pour l’adapter au secteur équestre. On ne peut pas nier que le concept prend tout de suite et que les jeunes abonnées suivent en masse ces comptes qui les font tant rêver (peut-on vraiment leur jeter la pierre ?).
Côté marques, le phénomène de transposition s’est joué à un autre niveau grâce à la grande mode des leggings d’équitation. Dites bye bye à votre vieux jodhpur beige, l’équitation du futur sera moulée à la louche ou ne sera pas. Il y a deux ans déjà, je faisais un appel du pied gigantesque aux marques françaises que je connaissais pour en faire développer. La vitesse de croisière du développement produit à la française étant ce qu’elle est (molle, flambiesque), le marché a été rapidement inondé par des marques étrangères. Aztec Diamond (UK) en tête. Aujourd’hui, vous en retrouvez chez HKM (Allemagne), Horze (Finlande), Kingsland Equestrian (Norvège) ou encore Pikeur (Allemagne). Seul l’équipementier français Equithème semble avoir mesuré l’ampleur de l’opportunité côté France. Il faut dire que la Française peut être complexée par nature et se préfère gainée en pantalon que moulée en legging. Inspiré du vêtement de yoga/fitness, il faut bien dire que le legging requiert tout de même d’avoir soit un fessier lifté parfait, soit un état d’esprit zéro complexe pour envoyer bouler les con.ne.s aux bords de carrières. Côté communication, il se vend de la même manière : on doit montrer que le produit (et non le sport) fait de belles fesses !
C’est exactement le parti pris de Black Heart Equestrian dans sa communication. Comme le souligne @liv._.doodless, on n’y voit apparaître que des filles minces aux fessiers bombés, à la cambrure prononcée et à la poitrine élancée comme dans les pubs de fitness. Une communication digne des plus grandes marques de sport connues sur Instagram (Gymshark et j’en passe). Pourtant, le premier critère que la marque vient défendre en répondant PUBLIQUEMENT à la jeune fille en stories concerne la morphologie : “nous stockons des tailles allant du XXS au XXL”. D’un seul regard sur leur site ou sur Instagram, cette information ne saute aux yeux. Contrairement à la marque Laflex Equestrian qui, elle, revendique l’inclusivité et la confiance en soi. Mais montrer que l’on propose des tailles au-delà du L, dans le monde du cheval c’est honteux, ça ne se montre pas mais ça se vend alors on en propose sans trop communiquer dessus ! Cela s’appelle le positionnement marketing, aussi hypocrite soit-il.
Le souci, c’est que Black Heart Equestrian ne s’est pas arrêté là. En plus de rendre public une conversation qui aurait dû être privée, la marque prend le parti de se moquer ouvertement de l’abonnée dévoilant ainsi son manque d’ouverture d’esprit et d’intérêt pour le problème soulevé. Grossière erreur à notre époque. Dans la suite de leur story, la marque se justifie en expliquant son manque de moyen financier pour faire appel à une plus grande diversité de morphologies et demande à ses abonnés s’ils préfèrent de “réels cavaliers de bon niveau” ou des modèles plus diverses “qui n’ont jamais touchés un cheval” et provenant d’agence. Sous-entendant clairement qu’il leur est impossible de trouver des cavaliers avec d’autres physiques. Le monde équestre ne disposerait donc pas d’une diversité de morphologies, de couleurs et de tailles ? Oupsi.
Et comme le souligne une twittos, la majeure partie des photos ayant été prises à pied et non à cheval, on n’y verrait de toute façon pas de différence. L’argument du “on veut de vrais cavaliers pour nos shootings” ne tient donc pas vraiment debout. Ni à cheval d’ailleurs : les photos prises à cheval montrent la plupart du temps une position où le fessier est outrancièrement à l’arrière de la verticale : autrement dit, Black Heart Equestrian semble plus vouloir valoriser son produit en cambrant les cavalières qu’en faisant l’apologie d’une belle équitation où le fessier repose sur ses deux ischions. Quand on pratique plus le dressage que le hunter à l’américaine, c’est quand même la base.
Dans un quatrième temps, la marque continue de se défendre des messages qui commencent à fuser en privé, et venant soutenir l’abonnée épinglée.
– “Appelez quelqu’un une ‘fille mince blanche’ est raciste, offensif et relève du body shaming tout comme dire une ‘grosse femme noire'”. LOL. Non, cela s’appelle une description factuelle en fait. Cela n’a rien à voir avec le racisme ou le body shaming.
– “Nous aimons les femmes de toutes tailles, de toutes morphologies, de toutes les couleurs et ethnicités car nous aimons toutes les FEMMES”. Si j’avais dû répondu à @liv._.doodless, j’aurais probablement commencé par cet argument.
– “Arrêtez de harceler une petite entreprise parce qu’elle utilise des amies ou de la famille comme modèles”. Je ne pense pas que ce soit la cause réelle des messages négatifs reçus par la marque à la suite du bad buzz. Ce qui est demandé par la communauté, c’est de diversifier les modèles dans les shootings.
– “Si nous avions un budget illimité, nous aurions des modèles plus divers pour nos campagnes”. Sauf erreur de ma part, je vois apparaître le mannequin Matt Harnacke en slider sur le site internet de la marque. Ce modèle et influenceur équestre est réputé pour demander des rémunérations élevées pour promouvoir des produits ou des marques. Il est tout à fait possible que celui-ci n’ait pas été rémunéré pour cette prestation. Cela étant, si on est en mesure de convaincre Matt Harnacke de poser gratuitement, je pense qu’il est aussi possible de trouver des cavaliers heureux de poser pour une marque, même gratuitement, quel que soit leur morphologie et leur couleur de peau…
– “Mais pour l’instant, nos budgets sont destinés au développement des produits de façon à ce qu’ils soient de haute qualité et qu’ils proviennent d’une usine éco-friendly aux salaires équitables.” Pourquoi ne jamais avoir communiqué sur cela si c’est une priorité ? Parce que montrer que des leggings font des beaux culs est plus vendeur. Dommage, car cet argument est en effet très important et c’est même étonnant que l’entreprise ne communique pas davantage sur ce sujet à l’heure où les consommateurs sont très curieux de la provenance de leurs achats.
– “Je pense que l’attention portée à nos ouvriers est plus importante que d’employer des modèles qui conviennent aux caprices des trolls. Si vous avez un problème avec nous, ne nous suivez pas. Négativité = bloqué”. FACEPALM. A moins de vouloir montrer que vous n’êtes pas à l’écoute de votre communauté et que vous comptez exclure des abonnés s’ils disent des choses qui ne vous plaisent pas, vous ne gagnerez rien d’autres que de perdre leur confiance. Je rajouterais que l’inclusivité n’est pas un caprice, c’est une nécessité.
Si cette marque avait été mon client, je crois que je l’aurais assommée à coups de cravache (c’est une image, hein). Le nombre d’erreurs de communication commises en l’espace de 4 stories est affligeant. La première et non des moindres : ce qui est en privé RESTE en privé. L’abonnée a eu la bienveillance de souhaiter entamer le dialogue sur un sujet qui lui tient à cœur en privé, respectez-le ! Faire du public shaming vous fait perdre crédibilité et confiance envers votre communauté et n’incite absolument pas vos (potentiels) clients à souhaiter communiquer avec vous et encore moins à acheter vos produits. L’entreprise (+60 000 abonnés sur Instagram) se moque ouvertement de l’abonné qui semble être jeune (donc vulnérable), c’est inconvenable, d’autant que le sujet abordé est IMPORTANT. On ne PEUT PAS répondre de la sorte sur un sujet aussi sérieux et sociétal que celui-ci. On ne TRAITE PAS ses abonnés de trolls publiquement (même si on le pense).
“Je n’avais jamais entendu parlé de vous et maintenant, je ne compte pas acheter vos vêtements”
Dans ce cas précis, il y avait deux comportements possibles à adopter :
Ignorer le message : ce que je ne recommande pas. Tout message adressé mérite une réponse, même si cela peut prendre plusieurs jours avant d’y répondre.
OU Remercier et utiliser ce message à leur avantage car il contient un vivier d’insights très enrichissants pour la marque. En remerciant, la marque prend en compte l’avis de son abonnée qui se sent considérée. Expliquer pédagogiquement que non, cela n’est actuellement pas possible car les budgets sont orientés vers d’autres priorités (non des moindres, en plus !) mais que cette suggestion est prise en considération. Pour aller plus loin, cela aurait pu faire l’objet d’un article de blog pour expliquer davantage les valeurs de la marque car cela ne figure sur aucune page du site. Ce qui laisse supposer que cet argument n’est peut-être pas si important à leurs yeux.
Black Heart Equestrian semble porter des valeurs eco-friendly (certains produits – lesquels ? – sont réalisés en bouteilles recyclées apprend-on plus tard sur Facebook), de commerce équitable et propose une large possibilité de tailles. Pourtant, la marque anglaise ne communique absolument pas dessus ! Réagir instantanément au DM, sans aucun recul et de manière publique est une erreur de communication car cela a engagé l’ensemble de la communauté à prendre part à un débat qui aurait dû rester privé.
Résultat : cela a créé une émulation telle que la marque a engendré une vague de “négativité” allant jusqu’à toucher des personnes qui ne connaissaient même pas l’entreprise ! Le bad buzz s’est également propagé sur Facebook et Twitter où les cavaliers anglais sont très actifs. “Je n’avais jamais entendu parlé de vous et maintenant, je ne compte pas acheter vos vêtements” peut-on lire dans les commentaires. D’autres ont trouvé le compte Instagram de la CEO, avec photo d’elle à l’appui en train de poser en bikini aux Bahamas (entreprise à petit budget on a dit) ou à cheval sur des chevaux de dressage. Cela suffit malheureusement pour nourrir davantage de haine et de négatif autour de la marque et envers l’équipe elle-même. Les réseaux sociaux, cet univers impitoyable. C’est dommage car cela aurait pu être évité avec du recul, de la psychologie et un soupçon d’intelligence. Bref, du professionnalisme.
Beaucoup de marques équestres pensent que faire du community management se résume à créer du beau contenu pour les réseaux sociaux mais n’ont aucune notion de la partie psychologique que nécessite la gestion de la communauté. La communication digitale n’est pas un outil de vente, la communication digitale est un canal qui vous permet de transmettre des messages aux personnes qui s’intéressent à votre marque ou qui pourraient s’y intéresser. Établir une communication de crise n’est pas une action à entreprendre à la légère et encore moins de manière exclusivement émotionnelle. En tant que chef d’entreprise, il est parfois difficile de prendre le recul nécessaire pour ne pas se sentir directement visé par les critiques à l’attention de notre “bébé” (j’en sais quelque chose). Il est donc indispensable de prendre le temps de réfléchir à une réponse construite et argumentée, de s’entourer de professionnel(le)s en mesure de vous aider.
L’exemple Black Heart Equestrian n’est selon moi pas anecdotique. Les équipementiers équestres sont aujourd’hui rarement armés pour faire face au mastodonte que sont les réseaux sociaux. La gestion des ressources humaines en est en partie la cause. Les entreprises doivent prendre conscience que les nouveaux consommateurs ont de réelles exigences sur les produits qu’ils achètent mais surtout, prendre conscience qu’ils n’achètent pas qu’un produit. En achetant ce produit et pas un autre, ils cautionnent un système de valeurs qui sont aussi les leurs. Les marques ont donc intérêt plus que jamais à être en cohérence profonde avec leur raison d’être et leur raison de créer des produits pour les chevaux et les cavaliers d’aujourd’hui et de demain.
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Juliette L
juillet 19, 2019Excellent article Je suis cette marque, enfin du coup je suivais ! Instagram est le réseau de l’apparence par excellence, je continue de croire pourtant qu’il y a aussi du bon sur cette plateforme : de l’échange, de la découverte, des rencontres et du partage avec simplicité (quand on en fait une utilisation intelligente et modérée, sans se prendre trop au sérieux, comme pour tout finalement :)).
Priscillia
juillet 19, 2019Assez incroyable la communication de cette marque !!
Comme quoi communiquer sur les réseaux sociaux ça ne s’improvise pas et qu’il faut parfois s’entourer de professionnels ou se former pour éviter ce genre de mauvaise pub..