Chez les gros industriels du textile, la question de l’éco-responsabilité n’est plus une option. Si certaines grandes maisons de fast-fashion y échappent encore (cf. Les dessous de la mode à bas prix), la plupart des grandes enseignes répondent d’ores et déjà à la demande en créant des gammes ou des labels dédiés au sein même de leur offre. Véritable démarche ou bonne conscience ? Qu’en est-il du textile dans l’industrie équine ?
Dans l’industrie du monde du cheval, le textile habille autant le cavalier que le cheval (tapis, bonnets, bandes, etc). A l’instar de l’achat compulsif avec la mode, le phénomène s’observe également dans la mode équestre et cavalière dans laquelle on observe deux saisons : automne-hiver et printemps-été. Bon nombre de marques équestres renouvelle systématiquement au moins une partie de leur collection pour coller à la tendance des saisons à venir. Tout se joue chaque année à Spoga Horse en Allemagne pour l’Europe, le grand rendez-vous entre les selleries (les distributeurs) et les marques (les équipementiers). Les produits présentés peuvent être des prototypes qui, s’ils ne sont pas suffisamment vendus aux distributeurs, n’arriveront sans doute jamais à la connaissance du client final : le cavalier. Le principe des collections est réservé aux marques textiles. En plus des collections saisonnières, vous retrouvez généralement une gamme d’intemporels. Vous l’aurez compris, la nouveauté est ce qui attire le plus les clients.
Dans ce fonctionnement de consommation, comment peut-on imaginer créer, fabriquer et vendre plus éco-responsable ? Certaines tâtonnent en s’inspirant des innovations de l’industrie de la mode et en incluant quelques produits ou services éco-responsables à leur gamme existante tandis que d’autres en ont fait la raison d’être de leur entreprise dès leur création. C’est le cas de la marque Tacante, pionnière du textile équestre éco-responsable, lancée en 2015 et qui depuis, n’a eu de cesse d’étendre son offre par l’innovation.
Célèbre pour son logo en triangle et sa matelassure inspirée de cette figure géométrique, Tacante a su persévérer sur un marché étroit, ultra-concurrentiel, face à un public cavalier novice sur la question de l’éco-responsabilité et, de fait, pas toujours ou pas encore convaincu. La pérennité de l’entreprise est indispensable puisque sa promesse principale est la durabilité du produit. Durer pour convaincre et convaincre pour durer, tel est le défi quotidien de Morgane Carcaillet, fondatrice de la marque Tacante, avec qui nous avons tenté de comprendre les enjeux de l’éco-responsabilité dans le monde équestre à travers son expérience.
1. Comment devient-on fondatrice d’une marque éco-responsable ?
Morgane Carcaillet : En ce qui me concerne, rien ne m’y prédestinait. Je suis diplômée d’une maîtrise de Finances et d’un Master d’Affaires internationales de Paris Dauphine. J’ai commencé à travailler chez BNPP à Hong-Kong avant de créer une entreprise d’importation de produits gourmets en Inde à Bombay.
Puis retour en France chez Pierre Hermé Paris en tant que chef de projet export puis responsable BtoB pour finalement créer Tacante en 2015. Je ne connaissais pas le monde du textile mais je connaissais le monde du cheval en tant que “consommatrice/cliente”. J’appréciais beaucoup ce secteur donc j’avais envie d’y travailler mais sans savoir vraiment comment.
Au départ, j’avais plutôt envie de racheter une marque. Ce qui m’avait plu chez Pierre Hermé, c’était la problématique autour de la marque, du savoir-faire. Aucuns de mes projets de reprise n’ont abouti. Sans doute grâce à ça, je me suis lancée dans ma propre entreprise. J’avais déjà monté une entreprise en Inde donc je savais dans quoi je me lançais. Ne connaissant pas le domaine textile, j’ai voulu tout de suite m’entourer des meilleurs, j’ai cherché et je les ai trouvés !
2. Qu’est-ce que cela signifie être une marque éco-responsable ?
C’est bien faire les choses, avoir une éthique de travail qui consiste à mesurer l’ensemble des impacts, des enjeux de ce qu’on fait et ce, dans tous les domaines. Aussi bien dans la création des produits que dans la façon dont on les distribue ou encore l’éthique que l’on a au quotidien dans la gestion des ressources humaines.
Concernant les produits en particulier, chez Tacante nous avons la démarche d’éco-concevoir nos produits. C’est-à-dire que dès le moment de la conception, nous prenons en considération tout le cycle de vie du produit et non pas juste à sa fabrication : l’impact de sa création, la sélection de la matière première, toute la logistique autour du produit, l’entretien du produit, la durée de vie qui reste LE critère indispensable à un produit éco-responsable.
“Le meilleur déchet est celui qui n’existe pas.” Un produit qui dure, c’est vraiment la première règle à suivre. Il faut aussi penser à la réparation du produit, comment le réparer, quelles solutions proposer aux clients. Nous pensons aussi à la fin de vie avec l’up-cycling et en dernier recours, le recyclage. On entend beaucoup parler de recyclage mais c’est une utopie. Le pourcentage de produits recyclés est faible.
3. Est-ce que, chez Tacante, il existe des critères facultatifs que tu t’imposes pour toujours viser l’excellence ? Lesquels ?
Chez Tacante, on s’impose des règles de bonne conduite, de transparence, de respect avec les personnes avec qui on travaille. Aussi, quand on développe une nouvelle idée, on se pose beaucoup de questions. On s’est d’ailleurs créé un manifeste RSE.
On se pose d’abord la question de savoir s’il est fonctionnel. Si le produit ne répond pas à un besoin, ça ne sert à rien de mettre un nouveau produit sur le marché. On se demande s’il est durable – notre 1er critère –, s’il est réparable car c’est ce qui va impacter sa durabilité. Nous avons aussi un critère de simplicité car cela fait partie de notre ADN car on pense que la simplicité fait partie de la durabilité. On veut des produits qui se lavent moins, qui ne passent pas au sèche-linge. Tout ce qu’on peut enlever, on l’enlève.
On se demande s’il est innovant, car s’il n’apporte rien, cela n’a pas d’intérêt, s’il est facile à entretenir pour simplifier la vie de nos clients, s’il est beau car s’il est beau on aura tendance à l’utiliser plus, et s’il ne cause pas de dommages inutiles et si oui, on les efface.
4. Quel est ton process d’innovation : combien de temps te faut-il depuis l’idée d’un nouveau produit jusqu’à sa mise sur le marché ? Y a-t-il eu des produits qui ne sont finalement jamais sortis et pour quelle raison ?
C’est très variable, il y a des projets qui se développent assez rapidement et d’autres non. Quand on a la volonté d’innover, de produire en France et d’avoir un prix premium mais acceptable ce n’est pas simple comme équation. Le principal frein pour nous aujourd’hui c’est le prix justement. On peut vite se retrouver hors marché.
Cela fait 3 ans que nous travaillons sur un couvre-reins multicouches mais pour l’instant le prix de revient est trop élevé donc il n’est toujours pas sorti. En revanche on abandonne jamais une idée, enfin pas si elle nous semble bonne. On y travaille jusqu’à trouver la bonne équation. C’est comme ça que sont nés les cotons INFI-KNIT. On travaillait sur le tapis de selle et en cherchant à optimiser notre production, on a trouvé que ça se prêtait super bien aux flanelles. En 6 mois (hors tests au porté), c’était bon !
5. Sur une échelle de 1 à 10, à quel niveau se situe l’équitation en termes d’éco-responsabilité d’après toi ?
Je pense qu’on est à peu près à 3/10 et à 0,5/10 en 2015. Ça se développe parce que les gens s’y intéressent. Je ne mets qu’à 3 parce qu’on est encore beaucoup plus sur l’envie, des personnes qui disent mais moins dans l’action. Il y a donc encore beaucoup de choses à faire. Dire qu’on veut être plus éco-responsable, qu’on met des matières recyclées dans son produit, ça ne suffit pas. La logique d’éco-responsabilité c’est plus complet que ça. Donc 3 pour la volonté mais aussi parce qu’il y a encore beaucoup de choses concrètes à faire.
6. Si un jour l’équitation devenait un sport 100% éco-responsable, qu’est-ce que cela signifierait concrètement au niveau de l’équipement, des infrastructures, des événements ?
Je pense qu’on est jamais à 100%. Je ne sais pas si on peut être 100% éco-responsable mais on peut nettement améliorer nos façons de faire et c’est impératif selon moi de s’y mettre tous et à tous les niveaux. Aujourd’hui, notre univers est dominé par la surconsommation, la culture du jetable et les paillettes… Gardons les paillettes car on a tous besoin de rêver mais faisons rêver en rationalisant nos impacts.
En termes de matériel, consommons moins mais mieux, intéressons-nous à ce que nous achetons, économisons pour s’acheter des produits de meilleur qualité qui auront plusieurs vies, utilisons ce que nous achetons, apprenons à réparer au lieu de jeter… Bref, retrouvons la valeur des choses, redonnons du sens à nos achats et à nos habitudes de consommation.
Pour les infrastructures, c’est selon moi un peu la même chose. Quant aux évènements, ils ont déjà commencé leur mutation. On a intérêt à favoriser les structures plus pérennes, les lieux qui durent etc… Je trouve cette période super excitante, il y a tout à réinventer. L’essentiel est de se recentrer sur ce qui fait l’essence même de notre univers : la relation à l’animal, le lien avec la nature, le plaisir, le sport, les valeurs et le respect. Redonnons du sens.
7. On dit souvent que le matériel équestre éco-responsable, c’est cher. Pourquoi ? Dans quelles mesures les prix des produits éco-responsables pourraient-ils devenir plus accessibles ?
Quand on achète du Tacante, on investit dans du durable et qu’est-ce qui fait la différence ? C’est déjà au niveau de l’éco-responsabilité, dans les matières qu’on choisit pour nos produits, on va s’attacher à avoir la meilleure combinaison possible entre des matières qui soient techniques et performantes, qui soient durables et résistantes mais aussi qui demandent moins de lavages. Donc pour chacune d’entre elles, on demande des tests qualité de durabilité, de frottements, d’abrasion, de dégorgements, ce qui a évidemment un coût.
Il y a une différence de prix entre les matières qui sont testées et celles qui ne le sont pas. Si on prend l’exemple du tapis de selle, quand on a choisi nos matières, elles devaient correspondre à nos cahiers des charges et avoir des certificats de tests effectués par nos fournisseurs pour avoir des garanties en termes de qualité de matière.
Il y a peu, on nous a posé la question “comment se fait-il que vos tapis restent blancs et que le rouge ne déteigne pas ?” C’est justement parce que nous prenons toutes ces précautions en amont et qu’on a pris des teintures qui ne vont pas déteindre dans le temps et permettre de garder longtemps son tapis. Pour le tapis de selle blanc, certains clients ont le leur depuis 3-4 ans, il est toujours blanc ce qui est quelque chose d’assez rare. Tous ces petits détails ne sont pas visibles quand on voit le produit pour la première fois mais ce sont ceux qui font la différence. Par ailleurs, sa toile extérieure est légèrement déperlante donc la boue et la crasse ne vont pas s’incruster durablement et le textile va être beaucoup plus facile à détacher. Une brosse et du savon de Marseille peuvent suffire dans la plupart des cas. Il n’y a donc pas besoin de faire des machines fréquemment pour laver ses tapis, à forte température ou avec du blanchissant.
8. Comment fait-on prendre conscience à toute une filière de la nécessité de penser une “équitation verte”, qui passe notamment par le choix d’un équipement durable et élaboré dans des conditions à faible impact environnemental ?
Si j’avais la réponse… Quand on voit comment ça se passe dans l’économie au sens large, on voit bien qu’on est encore très loin du compte. Je suis une incorrigible optimiste et je pense que les jeunes vont nous pousser à changer. L’éducation, la formation c’est ce qui fera la différence, cela doit être une priorité.
9. Qu’est-ce que tu as fait à travers Tacante qui te rend fière ?
Tout. Je suis très fière de Tacante et rien ne me fait plus plaisir que de croiser nos petits triangles dans les écuries !
10. Comment vois-tu Tacante dans 10 ans ?
En France et à l’international. Après il faudra réfléchir à comment adapter les choses car on tient à rester en circuit court, on ne peut pas forcément tout faire depuis la France donc on verra comment on gère ce développement. On veut aussi vraiment aller au bout de l’économie circulaire.
On a des produits qui sont éco-conçus mais ne sont pas encore recyclés en fin de vie pour pouvoir en refaire du fil pour d’autres produits. Pour cela, nous avons besoin de faire plus de volume mais nous n’avons encore que trop peu de déchets pour cela. Il faut beaucoup de déchets pour pouvoir recycler. En tout cas, nous n’avons aucuns freins aujourd’hui à ce qu’on puisse le faire ! L’idée, c’est vraiment de fermer cette boucle. Et si aujourd’hui nous sommes principalement développés dans les sports équestres (dressage, CSO), on a une volonté de se développer dans d’autres disciplines comme les courses. On espère se voir plus fréquent dans ce milieu.
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